Pourquoi les Huissiers de Justice font ils grève ?

Les Huissiers de Justice sont mobilisés contre le projet du gouvernement

Le 26 août dernier, à l’occasion de la composition du nouveau gouvernement et de la nomination de Monsieur MACRON ès-qualité de Ministre de l’Economie, Monsieur le Premier Ministre a réaffirmé sa volonté de maintenir le projet en faveur de « la croissance et du pouvoir d’achat », de supprimer les « rentes », afin de « restituer 6 milliards d’euros aux français ».

Ce projet de réforme, présenté sous un angle purement économique en faveur des ménages français, est fondé sur un rapport de l’Inspection Générale des Finances (IGF) comportant des éléments très approximatifs, faux et tronqués pour en aboutir à des comparaisons aberrantes.

[toggle title= »Un exemple concret de comparaison aberrante »] Dans son rapport, les inspecteurs IGF ont cru bon pouvoir comparer les professions entre elles, avec le reste de l’économie.

Ainsi, la rentabilité des professions serait largement supérieure chez un médecin, un chirurgien dentiste, un notaire, un huissier, que celle d’un agent immobilier par exemple.

Et chiffres à l’appui, le rapport explique que l’ensemble des professions réglementées retire, pour 100€ de chiffre d’affaires, 19€ de bénéfice, alors que dans le reste de l’économie un professionnel ne retire que 8€.

Appliquons le raisonnement de l’IGF et jugez par vous-même :

Prenons un marchand de biens qui réalise une vente à 500.000€ avec une rentabilité de l’ordre de 10%; il réalise donc en une seule opération un bénéfice de 50.000 €.

Prenons ensuite un médecin avec des consultations à 23€, dont la rentabilité dépasse outrageusement les 40%, soit 10€ le gain pour celui-ci pour chaque consultation. A raison de 5 consultations par heure, combien faut il d’heures de travail au médecin pour gagner autant que le marchand de biens ?

Pas moins de 1000 heures, et comme notre médecin est un « rentier », il travaille pas moins de 12 heures par jour, et devra le faire, à raison de 5 jours par semaine, durant 4 mois pour espérer gagner autant que le marchand de biens.

Voici le type de comparaisons effectuées par l’IGF, et comme tout le monde le comprend, comparer le coût de fabrication d’une voiture avec une baguette n’apporte rien et ne veut rien dire. Les méthodes employées par l’IGF, tableaux excel et autres courbes à l’appui, ne sont pertinentes que pour comparer les médecins entre eux, les architectes entre eux… [/toggle]

Concernant les professions juridiques, les rapporteurs ont par exemple totalement occulté les raisons qui ont conduit à créer ces réglementations et ces monopoles, notamment pour protéger les plus faibles.

Les mesures envisagées, pour le seul cas des officiers ministériels que sont les huissiers de justice sont les suivantes :

– modification du tarif des huissiers tel que fixé par décret du 12/12/1996 ;

– suppression de l’activité de signification des huissiers de justice, en matière de citations/assignations et significations de jugements, et ce en matière civile et pénale, en confiant cette activité à un opérateur privé ;

– liberté d’installation des diplômés ;

– ouverture du capital des études d’huissiers à des investisseurs privés ;

– extension de compétence territoriale au niveau national (au lieu de départemental actuellement) ;

Reprenons point par point ces modifications qui pourraient paraître anodines :

Modification du tarif :

Pour redonner du pouvoir d’achat aux français, le rapport de l’IGF préconise de baisser le tarif des activités monopolistiques (mesures d’exécution) de 20%. Rappelons cependant que le coût d’un acte d’huissier est soumis, outre à la tva, à une taxe supplémentaire de 9,15€. Ainsi, un acte à 60€ ht se voit augmenté de plus de 35% de taxes pour atteindre le prix ttc de 81€. Étonnamment, le rapport ne préconise pas, par exemple, de supprimer la taxe forfaitaire ce qui aurait pour effet immédiat de redonner aux justiciables plusieurs millions d’euros…

Par ailleurs, les Huissiers de Justice exercent actuellement pour l’Etat certaines activités gratuitement voire à perte , comme par exemple la tenue des audiences civiles et pénales, les significations pénales, les procédures sous aide juridictionnelle, le recouvrement pour le compte du Trésor Public, le recouvrement des pensions alimentaires. Le projet gouvernemental oublie donc de préciser que depuis des années, en ne réformant pas le tarif civil des huissiers de justice, c’est avant tout pour ne pas devoir réformer, à la hausse cette fois-ci, celui des activités qui sont faites pour son compte.

Suppression des significations d’assignations et significations de jugements par huissier:

L’idée des rapporteurs est de confier cette activité à un opérateur privé, lequel est censé effectuer des économies d’échelle au niveau national, et en faire profiter les citoyens.

Pour mémoire, l’émolument de base dû à l’huissier de justice pour une assignation civile est de 18,70€ ht, et de 4,50€ ht en matière pénale.

On pense donc immédiatement à la lettre recommandée de LA POSTE qui viendrait se substituer aux Huissiers de Justice. Le rapport de l’IGF lui-même y fait référence, avec une parfaite méconnaissance de ce qu’est une signification, des modalités de remise, des obligations de recherche, des règles de responsabilité, et des conséquences juridiques sur le procès.

Par ailleurs, l’opérateur postal n’envisage évidemment pas de procéder aux significations à un tarif tel que celui que nous connaissons tous (4,55€), mais plutôt autour de 20€ par destinataire.

Ensuite, le rapport de l’IGF oublie un détail économique pourtant d’importance, démontrant les lacunes des rapporteurs : qui va rédiger les notifications ? Les greffiers des tribunaux qui débordent déjà de missions diverses (et donc il faudra augmenter le budget du Ministère de la Justice) ? Les avocats qui pratiquent des honoraires libres et factureront donc 50 ou 100€ la seule rédaction de l’acte à leur client ?

L’économie est donc inexistante et même en défaveur du contribuable et du justiciable, avec au final une notification de médiocre qualité (cliquez-ici pour la comparaison LRAR/signification par huissier), constamment contestée, et donnera lieu à une judiciarisation accrue.

Au passage, 8000 employés des études d’huissiers de justice auront été licenciés !

Et ensuite, compte tenu de l’importance du marché économique en jeu, il faudrait procéder à un appel d’offres au niveau européen : les significations pourraient donc être attribuées à La Poste, ou bien encore UPS, Fedex, TNT, ou pourquoi pas Amazon qui se lancerait dans l’aventure !

Enfin, on notera que la bonne idée du rapport aboutit à retirer une activité monopolistique à des officiers ministériels nommés par l’Etat et sous son contrôle, répartis sur tout le territoire, pour créer un nouveau monopole au profit d’une société de capitaux privés, éventuellement étrangers !

Liberté d’installation des diplômés :

Le rapport de l’IGF s’étonne que la profession d’huissier de justice comprenne très peu de jeunes de moins de 30 ans, lesquels se verraient refoulés par la profession.

Voyez vous-même l’étonnement :

Un Huissier de Justice doit être titulaire a minima d’un Master I (soit bac +4) ;

Il doit ensuite suivre un stage de deux ans dans une étude d’huissier, puis subir un examen professionnel ;

Puis, à supposer que le jeune aspirant veuille immédiatement s’installer, il doit être nommé par le Ministre de la Justice, le délai d’instruction des dossiers variant entre 1 et 2 ans (ce que la profession dénonce depuis 20 ans!)

Pour être Huissier de Justice à 22 ans, c’est tout simple : il faut avoir eu son Bac à 14 ans!

Les rapporteurs de l’IGF ont donc parfaitement tort de s’étonner ! Et la suppression du numerus clausus n’est en rien une réponse au problème…

Ouverture du capital des études d’huissiers :

La mesure présentée vise à donner à des tiers, sans lien avec la profession d’huissier de justice, la possibilité d’acquérir des parts, même majoritaires, dans le capital et les droits de vote des études.

La profession d’Huissier de Justice est marquée par des règles déontologiques fortes, au premier rang desquelles l’indépendance d’exercice.

Le projet laisserait possibilité à des banques, des sociétés d’assurance, françaises ou même étrangères, de prendre le contrôle des études d’huissier de justice.

Ceci n’est évidemment pas acceptable dans la mesure où les huissiers de justice exercent une parcelle de l’autorité de l’Etat, à travers l’exécution judiciaire des décisions de justice.

Comment pourrait on accepter qu’une banque, un fonds de pension anglais, exerce, nécessairement sur des seules considérations économiques, les prérogatives de l’Etat ?

Compétence territoriale des Huissiers de Justice étendue au niveau national :

Cette proposition pourrait paraître anodine et purement interne à la profession qui devrait alors se constituer en réseaux pour exercer.

Pourtant, il s’agit de remettre en cause les fondements mêmes de notre système juridique, si l’on a gardé en tête la proposition précédente (ouverture du capital des études) : Une banque pourra investir dans une seule étude en France, détenir 100% du capital, et confier l’intégralité de son contentieux à cette seule étude pour toute la France. Il s’agit, ni plus ni moins, que de la légalisation de la justice privée ! Les huissiers de justice qui exerceraient dans une telle étude n’auraient plus aucune indépendance, plus aucune déontologie, et seule la Loi du plus fort économiquement l’emporterait !

Le rapport de l’IGF servant de base au projet gouvernemental témoigne d’une méconnaissance totale de l’organisation judiciaire française. Des critères économiques ont été exclusivement retenus, en effectuant des comparaisons incongrues, comme si la Justice était une simple « marchandise ».

Les Huissiers de Justice Français ont été les modèles dans la plupart des nouveaux Pays de l’Est depuis les années 1990.

Les Notaires Français, quant à eux, servent de référence à la Chine (cliquez-ici), qui vient de refuser d’adopter le système anglo-américain qui privilégie le procès et le conflit au lieu de la sécurité du modèle de l’Europe continentale.

Pour la première fois de leur histoire, les Huissiers de Justice décident, comme première initiative, de faire grève de toutes les audiences pénales à compter du 15 septembre 2014, et de ne plus signifier les citations/significations pénales.

Si le gouvernement persiste, 8000 employés des études d’huissiers seront immédiatement licenciés, et 25000 employés chez les notaires : ceux là apprécieront leur nouveau pouvoir d’achat !

Les 15000 employés des études d’huissiers sont donc inquiets et s’organisent eux-mêmes en créant une association : l’ANPH. A noter également le soutien du syndicat FO (COMMUNIQUE FORCE OUVRIERE).

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