Dans un arrêt rendu par la 3è Chambre Civile, la Cour de cassation rappelle le 17 mai 2018 (N° de pourvoi: 16-15792 ), que le droit de propriété consacré à l’article 544 du code civil prime sur le droit au respect du domicile de l’occupant.
Cet arrêt rappelle ainsi que :
– les mesures d’expulsion et de démolition d’un bien construit illégalement sur le terrain d’autrui caractérisent une ingérence dans le droit au respect du domicile de l’occupant, protégé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
– Une telle ingérence est fondée sur l’article 544 du code civil, selon lequel la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements, et sur l’article 545 du même code, selon lequel nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ;
– Elle vise à garantir au propriétaire du terrain le droit au respect de ses biens, protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et par l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
– L’expulsion et la démolition étant les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien, l’ingérence qui en résulte ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété ;
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Cayenne, 11 janvier 2016 ), que M. et Mme X… ont assigné M. Z… en revendication de la propriété, par prescription trentenaire, de la parcelle qu’ils occupaient et sur laquelle ils avaient construit leur maison ; que M. Z…, se prévalant d’un titre de propriété, a demandé la libération des lieux et la démolition de la maison ;
Attendu que M. et Mme X… font grief à l’arrêt d’accueillir les demandes de M. Z…, alors, selon le moyen, que le droit au domicile est une composante du droit à la vie privée dont le respect est protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que l’ingérence dans ce droit doit demeurer proportionnée au but légitime poursuivi ; que, pour apprécier la proportionnalité de la perte d’un logement, qui est l’une des atteintes les plus graves au droit au respect du domicile, il y a lieu de tenir compte notamment de l’ancienneté de l’occupation des lieux et de la situation particulière de la personne concernée, qui commande une attention spéciale si elle est vulnérable ; qu’au cas présent, l’arrêt attaqué avait relevé que M. X… avait construit sur le terrain litigieux une maison depuis plus de vingt ans, dans laquelle il vivait avec son épouse, décédée durant l’instance d’appel ; qu’il ressortait également des documents de la cause que M. X… était âgé de plus de 87 ans, ce qui le rendait particulièrement vulnérable ; qu’en ordonnant néanmoins à M. X… de quitter la parcelle sur laquelle il avait établi son domicile et d’y démolir les constructions qui lui servaient de logement, sans rechercher si ces mesures étaient proportionnées au regard notamment de l’ancienneté de l’occupation des lieux et de l’âge de M. X…, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que les mesures d’expulsion et de démolition d’un bien construit illégalement sur le terrain d’autrui caractérisent une ingérence dans le droit au respect du domicile de l’occupant, protégé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Qu’une telle ingérence est fondée sur l’article 544 du code civil, selon lequel la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements, et sur l’article 545 du même code, selon lequel nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ;
Qu’elle vise à garantir au propriétaire du terrain le droit au respect de ses biens, protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et par l’article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Que, l’expulsion et la démolition étant les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien, l’ingérence qui en résulte ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété ;
Attendu qu’ayant retenu qu’il résultait d’un acte notarié de partage du 20 mai 2005 que M. Z… était propriétaire de la parcelle litigieuse et que M. et Mme X… ne rapportaient pas la preuve d’une prescription trentenaire, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche inopérante, a légalement justifié sa décision ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les autres griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. X… et Mme Y… X… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X… et Mme Y… X… et les condamne à payer la somme globale de 3 000 euros à M. Z… ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mai deux mille dix-huit. MOYENS ANNEXES au présent arrêt.
Moyens produits par la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, avocat aux Conseils, pour M. X… et Mme Y… X…, ès qualités.
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt infirmatif attaqué, D’AVOIR jugé que Monsieur X… occupe de manière illicite, sans droit ni titre, la parcelle située à […] , cadastrée section […] , d’avoir ordonné à Monsieur X… de quitter la parcelle et d’y démolir les constructions qu’il y a édifiées, dans un délai de six mois à compter de la signification de l’arrêt, sous astreinte ensuite de 100 € par jour de retard, et d’avoir dit qu’à défaut de libérer les lieux dans ce délai de six mois, Monsieur X… pourra être expulsé par la force publique ;
AUX MOTIFS QUE selon l’article 2258 du Code civil, la prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter la preuve ou qu’on puisse lui opposer sa mauvaise foi ; que selon l’article 2261 du même Code, pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire, le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière étant de trente ans ; qu’il résulte de l’acte de partage de la succession de Georges Z…, dressé le 20 mai 2005 par Me Marie-Claude I…, notaire à Cayenne, publié au bureau des hypothèques le 1er février 2006, que X… Z…, est propriétaire de la parcelle […] , d’une contenance de 8 ha 75 a 83 ca, située […] , bordée par le chemin de la Levée ; que pour établir leur possession, les époux X… produisent une attestation de Paulette J… ; que même si ce document n’est pas accompagné de la copie de la pièce d’identité de l’intéressée, la Cour peut prendre en considération son contenu ; que ce document explique que Gérard X… a cultivé du manioc sur le terrain litigieux en 1971, qu’il y a construit sa maison quelques années plus tard et qu’il l’occupe depuis plus de trente ans ; que le 29 mai 1971, Paulette J… et son frère, Gérard X…, ont demandé à Eloi K…, géomètre-expert, de délimiter une parcelle de 4 hectares, située à Matoury, en bordure du chemin de La Levée ; que ce document indique que Gérard X… et Paulette J… souhaitaient demander l’acquisition de ce terrain pour le cultiver ; que cette mention figurant sur le plan montre bien, comme le relève X… Z…, que les occupants ne prescrivaient pas à titre de propriétaires, dès lors qu’ils faisaient établir ce plan dans le but de le devenir ; que par ailleurs, la circonstance que cette demande de plan ait été faite par Gérard X…, mais aussi par Paulette J…, ne permet pas d’identifier de manière certaine l’auteur des actes de possession, qui peuvent avoir été accomplis par Gérard X…, mais aussi par sa soeur, les actes de possession effectués par celle-ci ne pouvant permettre à son frère de prescrire ; que par ailleurs, les époux X… produisent un relevé de propriété et un extrait de plan cadastral, ces deux documents les présentant comme propriétaires du terrain en cause ; que cependant, des documents cadastraux ne constituent pas un titre de propriété ; que de plus, X… Z…, produit également un relevé cadastral de la même parcelle, indiquant qu’il en est le propriétaire ; qu’à aucun moment, au demeurant, les époux X… n’ont justifié avoir payé les impôts locaux se rapportant au terrain litigieux ; que Gérard X… verse aussi aux débats un relevé du compte de la SGDE, indiquant qu’il est titulaire d’un abonnement à l’adresse concernée ; que cependant ce document n’indique pas la date à laquelle un compteur d’eau a été posé et ne permet pas d’établir une occupation continue des lieux pendant trente ans ; que, de plus, aucun document ne vient prouver la date de la construction de la maison implantée sur le terrain litigieux, Gérard X… ayant déclaré à un huissier de justice, en 2009, avoir construit l’immeuble en cause quatorze ans auparavant, ce qui ne permet pas d’établir une prescription trentenaire ; que les photographies aériennes des lieux, accomplies en 1979, 1987, et 1998, produites par X… Z…, ne montrent pas une mise en culture de la parcelle ; qu’enfin, la parcelle litigieuse provient du démembrement d’un terrain plus important, le domaine de La Levée, qui avait appartenu à la société Etablissement Prévot ; que celle-ci avait fait assigner les 48 occupants sans titre de son terrain, en 1975 ; que parmi eux, figuraient des voisins actuels de Gérard X…, mais non Gérard X… lui-même, ce qui jette un sérieux doute sur son occupation des lieux à l’époque ; qu’une procédure comparable a été engagée en 1992, à la suite d’une nouvelle occupation de ce terrain par 41 personnes ; que Gérard X… n’avait pas davantage été assigné ; qu’ainsi, la Cour considère qu’il n’est pas prouvé que Gérard X… et Nelly Y…, son épouse, aient possédé, à titre de propriétaires, pendant trente ans, de manière publique, continue, paisible et non équivoque le terrain en cause et qu’ils en soient devenus propriétaires par prescription ; qu’il n’est pas utile à la solution du litige d’ordonner une expertise, qui ne viserait qu’à pallier la carence de Gérard X… dans l’administration de la preuve qui lui incombe et qu’il ne rapporte pas ; qu’il convient donc, par infirmation du jugement, de rejeter les demandes des époux X…, de constater qu’ils occupent sans droit ni titre la parcelle appartenant à X… Z… et d’ordonner l’expulsion de Gérard X…, qui devra démolir l’immeuble construit irrégulièrement sur un terrain dont il n’est pas propriétaire ; qu’il convient d’assortir cette obligation d’une astreinte, pour en assurer l’exécution effective (arrêt attaqué, p. 3-4) ;
1°) ALORS, d’une part, QUE l’usucapion est établie par des actes matériels et juridiques de possession trentenaire effectués par le possesseur à titre de propriétaire ; qu’au cas présent, contrairement au jugement entrepris, la cour d’appel a considéré que la preuve de la propriété, par prescription trentenaire, des 4 hectares de la parcelle […] revendiquée par les époux X… n’était pas rapportée par l’attestation de Madame J…, ni par le document établi le 29 mai 1971 par le géomètre-Expert, Monsieur K…, ayant délimité cette parcelle, ni par le relevé de propriété et l’extrait du plan cadastral produits par les époux X…, ni par le relevé du compte de la SGDE (compteur d’eau), ni par la construction de la maison (arrêt attaqué, p. 3-4) ; que la cour a ainsi statué en examinant séparément chacune des pièces versées aux débats par les époux X… ; qu’en appréciant ces éléments de preuve isolément, cependant que leur appréciation dans leur ensemble lui aurait permis de retenir un ensemble d’actes de possession trentenaire de nature à caractériser l’usucapion au profit des époux X…, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 2258 et 2261 du code civil ;
2°) ALORS, d’autre part, QUE, à titre subsidiaire, le droit au domicile est une composante du droit à la vie privée dont le respect est protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que l’ingérence dans ce droit doit demeurer proportionnée au but légitime poursuivi ; que pour apprécier la proportionnalité de la perte d’un logement, qui est l’une des atteintes les plus graves au droit au respect du domicile, il y a lieu de tenir compte notamment de l’ancienneté de l’occupation des lieux et de la situation particulière de la personne concernée, qui commande une attention spéciale si elle est vulnérable ; qu’au cas présent, l’arrêt attaqué (p. 4 § 2) avait relevé que Monsieur X… avait construit sur le terrain litigieux une maison depuis plus de vingt ans, dans laquelle il vivait avec son épouse, décédée durant l’instance d’appel ; qu’il ressortait également des documents de la cause que Monsieur X… était âgé de plus de 87 ans, ce qui le rendait particulièrement vulnérable ; qu’en ordonnant néanmoins à Monsieur X… de quitter la parcelle sur laquelle il avait établi son domicile et d’y démolir les constructions qui lui servaient de logement, sans rechercher si ces mesures étaient proportionnées au regard notamment de l’ancienneté de l’occupation des lieux et de l’âge de Monsieur X…, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
SECOND MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l’arrêt infirmatif attaqué, D’AVOIR rejeté la demande d’expertise présentée par Monsieur X… ;
AUX MOTIFS QUE selon l’article 2258 du Code civil, la prescription acquisitive est un moyen d’acquérir un bien sans que celui qui l’allègue soit obligé d’en rapporter la preuve ou qu’on puisse lui opposer sa mauvaise foi ; que selon l’article 2261 du même Code, pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire, le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière étant de trente ans ; qu’il résulte de l’acte de partage de la succession de Georges Z…, dressé le 20 mai 2005 par Me Marie-Claude I…, notaire à Cayenne, publié au bureau des hypothèques le 1er février 2006, que X… Z…, est propriétaire de la parcelle […] , d’une contenance de 8 ha 75 a 83 ca, située […] , bordée par le chemin de la Levée ; que pour établir leur possession, les époux X… produisent une attestation de Paulette J… ; (
) ; qu’enfin, la parcelle litigieuse provient du démembrement d’un terrain plus important, le domaine de La Levée, qui avait appartenu à la société Etablissement Prévot ; que celle-ci avait fait assigner les 48 occupants sans titre de son terrain, en 1975 ; que parmi eux, figuraient des voisins actuels de Gérard X…, mais non Gérard X… lui-même, ce qui jette un sérieux doute sur son occupation des lieux à l’époque ; qu’une procédure comparable a été engagée en 1992, à la suite d’une nouvelle occupation de ce terrain par 41 personnes ; que Gérard X… n’avait pas davantage été assigné ; qu’ainsi, la Cour considère qu’il n’est pas prouvé que Gérard X… et Nelly Y…, son épouse, aient possédé, à titre de propriétaires, pendant trente ans, de manière publique, continue, paisible et non équivoque le terrain en cause et qu’ils en soient devenus propriétaires par prescription ; qu’il n’est pas utile à la solution du litige d’ordonner une expertise, qui ne viserait qu’à pallier la carence de Gérard X… dans l’administration de la preuve qui lui incombe et qu’il ne rapporte pas ; qu’il convient donc, par infirmation du jugement, de rejeter les demandes des époux X…, de constater qu’ils occupent sans droit ni titre la parcelle appartenant à X… Z… et d’ordonner l’expulsion de Gérard X…, qui devra démolir l’immeuble construit irrégulièrement sur un terrain dont il n’est pas propriétaire (arrêt attaqué, p. 3-4) ;
ALORS QUE si les juges du fond disposent en principe d’un pouvoir souverain pour apprécier l’opportunité d’une mesure d’instruction, il en est autrement lorsque les faits articulés, si leur existence était établie, auraient légalement pour conséquence inéluctable de justifier la demande ; qu’au cas présent, après avoir soulevé dans ses conclusions sur incident, l’existence d’un doute sérieux sur l’étendue de la propriété de Monsieur Z… en raison des incohérences résultant des documents produits par celui-ci, Monsieur X… avait sollicité une expertise foncière afin de déterminer notamment si la parcelle […] se trouvait bien sur la propriété revendiquée par Monsieur Z… ; qu’en rejetant néanmoins cette demande, cependant que l’expertise foncière était le seul moyen de prouver que le droit de propriété de Monsieur Z… ne s’étendait pas à la parcelle litigieuse, preuve négative que Monsieur X… n’aurait pu rapporter par lui-même, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 10 et 143 du code de procédure civile. [/toggle]