Dans un arrêt rendu le 17 septembre 2020, la Cour de cassation se prononce en matière de saisie conservatoire de meubles, au domicile d’habitation du débiteur.
La cour confronte les dispositions du Code des Procédures Civiles d’Exécution (article L521-1) à celles de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 8).
Ainsi,
S’il résulte de l’article L. 521-1 du Code des procédures civiles d’exécution, selon lequel la saisie conservatoire peut porter sur tous les biens meubles, corporels ou incorporels appartenant au débiteur, que le créancier peut faire procéder à la saisie conservatoire des biens de son débiteur situés dans un lieu servant à l’habitation et, le cas échéant procéder à cet effet à l’ouverture des portes et des meubles, le droit, à valeur constitutionnelle, au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile, également consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, exclut qu’une telle mesure puisse être pratiquée sans une autorisation donnée par un juge.
La Cour de cassation en tire la conséquence selon laquelle il n’est pas possible de procéder à une saisie conservatoire au domicile du débiteur sans autorisation préalable du juge de l’exécution, et ce même si le créancier est déjà en possession d’un titre exécutoire ou d’une décision qui n’a pas encore force exécutoire
Une mesure conservatoire ne peut, par conséquent, être pratiquée dans un lieu affecté à l’habitation du débiteur par le créancier sans que le juge de l’exécution l’ y ait autorisé en application de l’article R. 121-24 du code des procédures civiles d’exécution, et ce même dans l’hypothèse prévue à l’article L. 511-2 du même code dans laquelle le créancier se prévaut d’un titre exécutoire ou d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire. A défaut, la mesure doit être annulée.
La décision en intégralité :
Arrêt n°827 du 17 septembre 2020 (18-23.626) – Cour de cassation – Deuxième chambre civile
-ECLI:FR:CCAS:2020:C200827
Demandeur(s) : société Müflis T. Imar Bankasi T.A.S. Iflas Idaresi
Défendeur(s) : M. A… X…
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 6 septembre 2018), la société T. Imar Bankasi T.A.S.(la banque) ayant fait faillite, la société Müflis T. Imar bankasi T.A.S Iflas idaresi (le liquidateur), a engagé des procédures judiciaires à l’encontre de ses dirigeants, dont M. X…. Ce dernier ayant été condamné par des jugements du tribunal de première d’instance d’Istanbul à payer une certaine somme à la banque, le liquidateur de la banque a fait procéder à plusieurs saisies conservatoires de créances et de droits d’associé et valeurs mobilières, ainsi qu’à une saisie conservatoire de meubles corporels pratiquée au domicile de M. X…. Ce dernier a saisi un juge de l’exécution à fin de contester ces mesures.
Examen des moyens
(…)
Enoncé du moyen
9. Le liquidateur de la banque fait le même grief à l’arrêt, alors :
« 1°/ que l’article L. 142-3 du code des procédures civiles d’exécution, qui dispose qu’à l’expiration d’un délai de huit jours à compter d’un commandement de payer signifié par un huissier de justice et resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l’habitation et, le cas échéant, faire procéder à l’ouverture des portes et meubles, n’est applicable qu’aux mesures d’exécution forcée et non aux mesures conservatoires ; qu’en annulant les saisies conservatoires mobilières pratiquées le 25 août 2017 pour non-respect de l’article L. 142-3 du code des procédures civiles d’exécution, ce texte étant inapplicable aux saisies conservatoires, la cour d’appel a violé par fausse application l’article L. 142-3 du code des procédures civiles d’exécution ;
2°/ que la référence, par l’article L. 142-3 du code des procédures civiles d’exécution, à un commandement de payer signifié par un huissier de justice resté sans effet, en ce qu’elle laisse penser que le texte se rapporte à la seule saisie vente, ainsi d’ailleurs qu’il ressort des travaux parlementaires, puisque l’exigence d’un commandement de payer pour une saisie conservatoire retirerait tout effet utile à la saisie, en affecte la cohérence et la clarté quant à son champ d’application ; qu’en statuant comme elle l’a fait, la cour d’appel a violé l’article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
3°/ qu’à supposer l’article L. 142-3 du code des procédures civiles d’exécution applicable aux mesures conservatoires, le non-respect de cette disposition, qui prévoit qu’à l’expiration d’un délai de huit jours à compter d’un commandement de payer signifié par un huissier de justice resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l’habitation et, le cas échéant, faire procéder à l’ouverture des portes et meubles, n’est pas sanctionné par la nullité de la saisie conservatoire ; qu’en annulant les saisies conservatoires mobilières pratiquées le 25 août 2017 pour non-respect de l’article L. 142-3 du code des procédures civiles d’exécution, ce texte, à le supposer applicable aux saisies conservatoires, n’étant pas sanctionné par la nullité de la saisie conservatoire, la cour d’appel a violé par fausse application l’article L. 142-3 du code des procédures civiles d’exécution. »
Réponse de la Cour
10. Selon l’article L. 142-3 du code des procédures civiles d’exécution, à l’expiration d’un délai de huit jours à compter d’un commandement de payer signifié par un huissier de justice et resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l’habitation et, le cas échéant, faire procéder à l’ouverture des portes et des meubles.
11. Nonobstant l’emplacement de ce texte dans le Livre 1 du code des procédures civiles d’exécution, intitulé « dispositions générales », sa lettre même, qui exige que l’entrée dans un lieu servant à l’habitation et l’ouverture éventuelle des portes et des meubles soient précédées d’un commandement et que l’huissier de justice justifie d’un titre exécutoire, exclut son application à une mesure conservatoire, qui, en application de l’article L. 511-1 du même code, ne nécessite pas la délivrance préalable d’un commandement et peut être accomplie sans titre exécutoire.
12. Toutefois, s’il résulte de l’article L. 521-1 du même code, selon lequel la saisie conservatoire peut porter sur tous les biens meubles, corporels ou incorporels appartenant au débiteur, que le créancier peut faire procéder à la saisie conservatoire des biens de son débiteur situés dans un lieu servant à l’habitation et, le cas échéant procéder à cet effet à l’ouverture des portes et des meubles, le droit, à valeur constitutionnelle, au respect de la vie privée et à l’inviolabilité du domicile, également consacré par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, exclut qu’une telle mesure puisse être pratiquée sans une autorisation donnée par un juge.
13. Une mesure conservatoire ne peut, par conséquent, être pratiquée dans un lieu affecté à l’habitation du débiteur par le créancier sans que le juge de l’exécution l’ y ait autorisé en application de l’article R. 121-24 du code des procédures civiles d’exécution, et ce même dans l’hypothèse prévue à l’article L. 511-2 du même code dans laquelle le créancier se prévaut d’un titre exécutoire ou d’une décision de justice qui n’a pas encore force exécutoire. A défaut, la mesure doit être annulée.
14. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, l’arrêt, qui a constaté que l’huissier de justice n’était pas muni de l’autorisation d’un juge pour pénétrer dans le lieu servant à l’habitation de M. X…, se trouve légalement justifié.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Président : M. Pireyre
Rapporteur : Mme Lemoine, conseiller référendaire
Avocat général : M. Girard
Avocat(s) : SCP Ortscheidt – SCP Spinosi et Sureau