Le bailleur qui use de la clause résolutoire prévue au bail doit agir de bonne foi (Civ. 3è 25/10/2018)

La Cour de cassation, 3è chambre civile, en date du 25/10/2018, énonce que le propriétaire bailleur qui entend se prévaloir de la clause résolutoire prévue au bail, à l’encontre de son locataire fautif, doit agir de bonne foi.

 

Cette décision est rendue au visa de l’ancien article 1134 du Code civil qui prévoyait :
« Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi. »

Ce texte abrogé étant devenu, pour son alinea 3, le nouvel article 1104 du code civil qui prévoit désormais :

« Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.

Cette disposition est d’ordre public. »

[toggle title= »L’intégralité de la décision ci-dessous : »]

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du jeudi 25 octobre 2018
N° de pourvoi: 17-17384
Non publié au bulletin Cassation

M. Chauvin (président), président
SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat(s)

Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1134, alinéa 3, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, ensemble l’article L. 145-41 du code de commerce ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 mars 2017), que la société Mal-Invest a consenti un bail commercial à la société Le Château de la Malle ;

Attendu que, pour constater la résiliation du bail pour défaut de justification de l’assurance des locaux loués dans le délai d’un mois suivant la délivrance, le 11 mars 2013, d’un commandement visant la clause résolutoire, l’arrêt retient que le locataire n’a produit le justificatif d’assurance que le 19 avril 2013, quelques jours après l’expiration du délai légal et qu’il n’est pas besoin de rechercher si la clause résolutoire avait été mise en oeuvre de bonne ou de mauvaise foi ;

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la clause résolutoire n’avait pas été mise en oeuvre de mauvaise foi, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 7 mars 2017, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne la société Mal-Invest aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande la société Mal-Invest, la condamne à payer à la société Le Château de la Malle la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq octobre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat aux Conseils, pour la société Le Château de la Malle

Le moyen reproche à l’arrêt infirmatif attaqué D’AVOIR constaté la résiliation de plein droit du bail commercial au 11 avril 2013, ordonné l’expulsion de la société Le Château de La Malle ainsi que de toutes personnes de son chef, et fixé l’indemnité d’occupation mensuelle à la somme de 25.000 euros HT, charges et taxes en sus jusqu’à la libération effective des lieux par remise des clefs ;

AUX MOTIFS QUE la société Mal Invest était appelante d’un jugement du tribunal de grande instance d’Aix-en-Provence en date du 24 mars 2016 qui l’avait déboutée de sa demande de constatation de la résolution du bail commercial la liant à la société Le Château de la Malle, bail conclu le 25 janvier 2013 ; que le tribunal avait considéré que la clause résolutoire avait été mise en oeuvre de mauvaise foi par le bailleur ; que pour annuler le commandement, le tribunal avait jugé que la mauvaise foi des bailleurs faisait obstacle à l’application de la clause résolutoire et avait débouté le bailleur ; que le 11 mars 2013, la société Mal Invest avait délivré un commandement de payer et une sommation d’avoir à justifier de l’assurance de l’immeuble, visant la clause résolutoire insérée au bail ; que si le loyer avait été payé dans le délai visé par le commandement, tel n’avait pas été le cas du justificatif de l’assurance ; que le bail du 25 janvier 2013 contenait la clause suivante :  »le preneur devra faire s’assurer [sic] auprès d’une compagnie d’assurance notoirement solvable….il devra maintenir et renouveler l’assurance pendant toute la durée du bail, acquitter régulièrement les primes et cotisations et justifier du tout à toute réquisition du propriétaire… qu’en cas d’inexécution du bail et un mois après mise en demeure par exploit d’huissier, restée infructueuse, le bail sera résilié de plein droit, même dans le cas de paiement ou d’exécution postérieurs à l’expiration des délais ci-dessus… les conditions d’acquisition de la clause résolutoire seront constatées judiciairement et l’expulsion du preneur devenu occupant sans droit ni titre, ordonnée par le juge » ; que cette clause était parfaitement claire et licite et ne saurait s’interpréter ; qu’il ne saurait être recherché si ladite clause avait été ou non mise en oeuvre de mauvaise foi ; qu’en effet, le commandement en date du 11 mars 2013 visant la clause résolutoire pour notamment le défaut de justificatif de l’assurance du bien immobilier était resté infructueux puisqu’au 11 avril 2013, la société Le Château de la Malle n’avait pas produit le justificatif de son assurance ; qu’elle ne l’avait fait que tardivement, soit le 19 avril 2013 ; qu’en conséquence, sans qu’il soit besoin de rechercher si la clause résolutoire dont s’agissait avait été mise en oeuvre de bonne ou de mauvaise foi, il convenait de constater l’acquisition de la clause résolutoire au 11 avril 2013 et la résiliation de plein droit du bail litigieux ; qu’il convenait en conséquence d’infirmer le jugement du tribunal de grande instance d’Aix en Provence en date du 24 mars 2016 en toutes ses dispositions ; qu’il convenait d’ordonner l’expulsion de la société Le Château de la Malle ainsi que de toutes personnes de son chef, passé le délai de deux mois suivant la signification du présent arrêt, avec si besoin l’assistance de la force publique et qu’il convenait de fixer l’indemnité d’occupation mensuelle à la somme de 25.000 euros HT, charges et taxes en sus jusqu’à la libération effective des lieux par remise des clefs (arrêt, pp. 3 et 4) ;

ALORS, EN PREMIER LIEU, QU’une clause résolutoire devant être invoquée de bonne foi, les juges du fond sont tenus de rechercher, dès lors que cela leur a été demandé, si une telle clause n’a pas été mise en oeuvre de mauvaise foi ; qu’en estimant, au contraire, qu’il convenait de constater l’acquisition de la clause résolutoire au 11 avril 2013 et la résiliation de plein droit du bail litigieux « sans qu’il soit besoin de rechercher si la clause résolutoire dont s’agissait avait été mise en oeuvre de bonne ou de mauvaise foi », cependant qu’une telle recherche lui avait été demandée par la société Le Château La Malle dans ses écritures (pp. 9 et 10), la cour d’appel a violé l’article 1134, alinéa 3 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble les articles 1104 et 1225 nouveaux du même code ;

ALORS, EN TOUT ÉTAT DE CAUSE, QU’en se bornant à relever, pour constater l’acquisition de la clause résolutoire au 11 avril 2013 et la résiliation de plein droit du bail litigieux, que le commandement en date du 11 mars 2013, visant la clause résolutoire pour notamment défaut de justificatif de l’assurance du bien immobilier, était resté infructueux puisqu’au 11 avril 2013, la société Le Château de la Malle n’avait pas produit ce justificatif, lequel n’avait été produit que le 19 avril suivant, et en refusant expressément de rechercher, comme cela lui avait pourtant été demandé par la société Le Château La Malle dans ses écritures (pp. 9 et 10), si la société Mal Invest n’avait pas fait preuve de mauvaise foi mettant en oeuvre la clause résolutoire pour un simple retard de quelques jours dans l’envoi d’un justificatif d’assurance et si elle n’avait pas, ainsi, cherché à éluder ses propres manquements à la convention de bail commercial tenant à la nécessaire mise en conformité du bien, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

ALORS, ENFIN, QUE le caractère proportionné d’une mesure ordonnée par le juge en application d’un contrat est appréciée en recherchant s’il était possible, pour parvenir à l’objectif poursuivi par la clause contractuelle concernée, de recourir à des mesures moins contraignantes ; qu’en se bornant à se prononcer par les motifs précités pour constater l’acquisition de la clause résolutoire au 11 avril 2013 et la résiliation de plein droit du bail litigieux, sans rechercher, comme cela lui avait pourtant été demandé par la société Le Château La Malle dans ses écritures (pp. 11), si une telle sanction, dont les graves conséquences humaines et économiques avaient été relevées par le tribunal de grande instance (jugement p. 6), n’était pas disproportionnée par rapport au manquement imputé au preneur et tenant à un retard de quelques jours dans la communication d’un justificatif d’assurance, assurance dont il n’était du reste pas contesté qu’elle avait été souscrite dans le respect des stipulations contractuelles et notamment avec une date d’effet coïncidant avec la date de prise de possession des locaux par la locataire, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1184 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l’article 1225 nouveau du même code.

ECLI:FR:CCASS:2018:C300938
Analyse
Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 7 mars 2017

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