Le non respect du droit de préemption du locataire n’entraîne que la nullité de la vente et n’ouvre aucun droit de substitution au profit de celui-ci (Civ 3è 11/10/2018)

Dans un arrêt rendu le 11 octobre 2018 par la 3è Chambre civile de la Cour de cassation, la Haute juridiction rappelle que la sanction prévue en cas de non respect du droit de préemption dont bénéficie le locataire d’un local à usage d’habitation, est la nullité de la vente réalisée avec un tiers acquéreur.

En l’espèce, le locataire s’était vu notifier un congé avec offre de vente au prix de 200.000 €, conformément à l’article 15 II de la loi du 06 juillet 1989. Puis ensuite, le bailleur avait conclu la vente avec un tiers au prix de 80.000 €.

La Cour d’Appel de Cayenne avait alors ordonné la régularisation de la vente au bénéfice du locataire, aux nouvelles conditions de la vente.

La Cour de cassation casse cet arrêt, au motif que :

« Le non-respect du droit de préemption du locataire n’entraîne que la nullité de la vente et n’ouvre aucun droit de substitution au profit de celui-ci »

 

L’arrêt en intégralité :

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du jeudi 11 octobre 2018
N° de pourvoi: 16-26748
Non publié au bulletin Cassation partielle

M. Chauvin (président), président
SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, SCP Sevaux et Mathonnet, avocat(s)

Texte intégral
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Donne acte à Mme Y… de sa reprise d’instance ;

Sur le moyen unique :

Vu l’article 15, II de la loi du 6 juillet 1989 ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Cayenne, 10 octobre 2016), que, par acte authentique dressé le 23 décembre 2010 par Mme A…, Marc B…, propriétaire d’une maison d’habitation donnée à bail à M. X…, l’a vendue à Mme Y…, au prix de 80 000 euros ; que M. X…, invoquant un congé avec offre de vente reçu le 8 décembre 2010 au prix de 200 000 euros, a assigné Marc B…, Mme Y… et Mme A… en annulation de la vente intervenue et en réalisation forcée de la vente à son profit ;

Attendu que, pour ordonner la régularisation de la vente au profit de M. X…, l’arrêt retient que la vente intervenue au profit de Mme Y… est nulle et que, compte tenu des dispositions de l’article 15, II de la loi du 6 juillet 1989, M. X… peut, en sa qualité de locataire ayant reçu un congé pour vendre, se porter acquéreur du bien au prix de 80 000 euros dont a bénéficié Mme Y… et non au prix initialement envisagé de 200 000 euros ;

Qu’en statuant ainsi, alors que le non-respect du droit de préemption du locataire n’entraîne que la nullité de la vente et n’ouvre aucun droit de substitution au profit de celui-ci, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il annule la vente conclue le 23 décembre 2010 par acte de Mme A… et en ce qu’il confirme la mise hors de cause de Mme A…, l’arrêt rendu le 10 octobre 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Cayenne ; remet en conséquence, sauf sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Fort-de-France ;

Condamne M. X… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. X… et le condamne à payer à Mme Y… la somme de 3 000 euros ; rejette la demande de Mme A… ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze octobre deux mille dix-huit.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour Mme Y…

Le moyen reproche à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir annulé la vente conclue le 23 décembre 2010, par acte de Me A…, entre M. B… et Mme Y…, d’avoir constaté l’intention de M. X… de se porter acquéreur l’immeuble vendu au prix de 80 000 euros, d’avoir condamné en conséquence M. B… à régulariser la vente devant notaire dans les quatre mois du prononcé de la décision, à défaut de quoi l’arrêt vaudra acte de vente de l’immeuble, et d’avoir condamné Mme Y… à restituer à M. X… les loyers qu’elle a reçus pour l’occupation de cet immeuble à compter du 23 décembre 2010,

AUX MOTIFS QUE « selon l’article 15 II de la loi du 6 juillet 1989 modifiée lorsque le bailleur donne congé à son locataire en se fondant sur la décision de vendre le logement, le congé doit à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente au profit du locataire, cette offre de vente étant valable pendant les deux premiers mois du délai de préavis ; que dans le cas où le propriétaire décide de vendre à des conditions ou à un prix plus avantageux pour l’acquéreur, le bailleur, ou à défaut, le notaire chargé d’établir l’acte de vente, doit notifier au locataire ces conditions et ce prix, à peine de nullité de la vente ; que Marc-Gilbert B… a donné à bail à Fabrice X… une maison située[…] , par un acte du 14 juin 2005, qui a été renouvelé le 22 janvier 2009 ; que rien ne vient démontrer que ce dernier bail aurait été antidaté ; que Marc-Gilbert B… a tenté de vendre cet immeuble à Fabrice X…, des pourparlers de vente ayant déjà été engagés en 2008 ; qu’un compromis de vente a été conclu entre Marc-Gilbert B… et une société dans laquelle Fabrice X… était associé, le 5 février 2009 ; que Marc-Gilbert B… a ensuite délivré un congé pour vendre à M. X… , le 17 novembre 2010 ; que ce dernier ayant répliqué, par l’intermédiaire de son conseil, le 6 décembre 2010, que ce congé était irrégulier, un nouveau congé pour vendre a été délivré à Fabrice X…, le 8 décembre 2010 ; que même si l’avis de réception de l’envoi en recommandé de ce congé n’a pu être retrouvé, et si la Poste indique que ses archives ne portent pas trace de l’envoi de la lettre recommandée dont le numéro figure sur ce congé, il apparaît, pour la Cour, que ce congé a bien été délivré ; qu’il est réglé avec la même police de caractères que d’autres correspondances de Marc-Gilbert B…, produites aux débats, et qu’il porte la même signature ; que par ailleurs, il s’inscrit dans le droit fil des relations entre les parties, où Marc-Gilbert B… avait déjà donné congé pour vendre à Fabrice X…, le 17 novembre 2008 et le 17 novembre 2010 ; que de plus, ce congé du 8 décembre 2010 apparaît comme une réponse à la lettre dans laquelle l’avocat de Fabrice X… contestait la régularité du congé donné le 17 novembre 2010 ; qu’il n’est en rien démontré, par Mildred Y…, que ce congé du 8 décembre 2010 serait un faux ou qu’il aurait été antidaté, dans le cadre d’une machination ourdie entre Marc-Gilbert B… et Fabrice X… ; que cette thèse conspirative, dont elle échoue à prouver la réalité, ne sera pas retenue ; que délivré le 8 décembre 2010, ce congé a engagé Marc-Gilbert B…, même s’il n’a pas été fait état de son existence auprès de l’acquéreur, Mildred E…, et du notaire, Z… A… ; que ce congé du 8 décembre 2010 indiquait à Fabrice X… l’intention de Marc-Gilbert B… de vendre l’immeuble au prix de 200 000 € ; qu’en application des dispositions précitées de la loi de 1989, il revenait à Marc-Gilbert B… de porter à la connaissance de Fabrice X… toute minoration du prix de vente ; qu’il apparaît que l’immeuble a été vendu, par acte établi par Z… A…, notaire à Cayenne, le 23 décembre 2010 par Marc-Gilbert B…, à Mildred Y…, au prix de 800 000 € ; que dès lors qu’il n’a pas été informé de cette baisse de prix, Fabrice X… est fondé à invoquer la nullité de la vente du 23 décembre 2010 et à se porter acquéreur de l’immeuble en cause, au prix de 80 000 € , par application des dispositions précitées de la loi du 6 juillet 1989, son droit de préemption subsidiaire ayant été méconnu ; que Marc-Gilbert B… sera tenu de signer l’acte de vente au profit de Fabrice X…, et, à défaut de signature de cet acte par le vendeur, le présent arrêt vaudra acte de vente ; que c’est à tort que Mildred Y… invoque la nullité du congé au motif qu’il aurait été établi en fraude de ses droits ; que dès lors que le congé a été remis à Fabrice X…, celui-ci est fondé à s’en prévaloir, dans son intérêt, même s’il porte atteinte à l’intérêt de l’acquéreur ; que le vendeur pouvait délivrer un congé au locataire, indépendamment de l’accord de l’acquéreur potentiel, qui n’est pas requis par l’article 15 II de la loi du 6 juillet 1989 ; que de même, la mauvaise foi du vendeur, qui n’a révélé l’existence du congé du 8 décembre 2010 ni à l’acquéreur ni au notaire, ne remet pas en cause la validité du congé mais peut seulement conduire à la condamnation du vendeur de mauvaise foi à des dommages et intérêts qui, ici, ne sont pas réclamés, Mildred Y… ne présentant aucune demande à cet égard envers Marc-Gilbert B… ; que par ailleurs, compte tenu des dispositions précitées de la loi du 6 juillet 1989, en sa qualité de locataire ayant reçu un congé pour vendre, Fabrice X… peut se porter acquéreur du bien au prix de 80 000 € dont a bénéficié Mildred Y… et non au prix initialement envisagé de 200 000 € ; que la vente étant annulée, Mildred Y… devra restituer à Fabrice X… les loyers qu’elle a reçus, après le 23 décembre 2010 ; que ceux-ci ne pourront s’imputer sur le prix de vente, dès lors que ce prix devra être versé à Marc-Gilbert B…, en sa qualité de vendeur, et que les loyers ont été remis à Mildred Y… ; toute compensation étant impossible, lorsque les créanciers et les débiteurs des deux dettes sont différents ; »,

ALORS PREMIEREMENT QUE le congé pour vendre est notifié au locataire par lettre recommandée avec avis de réception ou par exploit d’huissier ; que la preuve de l’existence d’un tel congé repose sur celui qui l’invoque ; qu’en constatant que même si l’avis de réception de l’envoi en recommandé du congé pour vendre, prétendument délivré le 8 décembre 2010, à M. X… dont ce dernier se prévaut n’a pu être retrouvé et que La Poste indique que ses archives ne portent pas trace de l’envoi de la lettre recommandée dont le numéro figure sur ce congé sans en déduire l’absence de certitude de la délivrance de ce congé à cette date, la cour a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article 15 II de la loi du 6 juillet 1989.

ALORS DEUXIEMEMENT QUE tout arrêt ou jugement doit être motivé à peine de nullité ; qu’un motif hypothétique équivaut à un défaut de motifs ; qu’en constatant que même si l’avis de réception de l’envoi en recommandé du congé pour vendre, prétendument délivré le 8 décembre 2010, n’a pu être retrouvé et si La Poste indique que ses archives ne portent pas trace de l’envoi de la lettre recommandée dont le numéro figure sur ce congé, il « apparaît » pour la Cour que ce congé a bien été délivré, la cour a statué par un motif hypothétique et partant, violé l’article 455 du code de procédure civile.

ALORS TROISIEMEMENT (subsidiairement) QUE la vente de l’immeuble occupé ne donne pas droit à l’exercice d’un droit de préemption au profit du locataire, lequel n’est pas plus fondé à revendiquer le bénéfice d’un droit de préemption subsidiaire ; qu’en considérant que le droit de préemption subsidiaire de M. X…, auquel aurait été délivré un congé pour vendre le 8 décembre 2010 au prix de 200 000 euros, a été méconnu par la vente de l’immeuble occupé à Mme Y… en date du 23 décembre 2010 au prix de 80 000 euros, la cour a violé par fausse application l’article 15 II alinéa 4 de la loi du 6 juillet 1989.

ALORS QUATRIEMEMENT (subsidiairement) QUE la sanction de la méconnaissance du droit de préemption subsidiaire est la nullité de la vente ; qu’en ordonnant la régularisation de la vente de l’immeuble au prix de 80 000 € au profit de M. X… et en disant qu’à défaut de régularisation de cet acte de vente dans les quatre mois du prononcé de sa décision, l’arrêt attaqué vaudra acte de vente au profit de l’acquéreur et pourra être publié du bureau des hypothèques à l’initiative de celui-ci, la cour, qui a constaté la réalisation de la vente au profit de M. X…, a violé par fausse application l’article 15 II de la loi du 6 juillet 1989 dans sa rédaction postérieure à la loi du 21 juillet 1994.

ECLI:FR:CCASS:2018:C300897
Analyse
Décision attaquée : Cour d’appel de Cayenne , du 10 octobre 2016